À travers son écriture, Bauchau a « déraciné son arbre généalogique ». Il s’est créé une nouvelle lignée : Polynice, Gengis Khan, Mao Zedong … loin de la trajectoire rectiligne, la continuité s’est muée en lignes plurielles et simultanées, en survivances et résurgences.
Dans son travail, Anne Dejaifve traduit de manière très personnelle le cheminement de la pensée d’Henri Bauchau. En liés et déliés, en tourbillons et mouvements, elle adopte la quête du créateur.
La liane chemine, s’accroche en entre-nœuds, pauses de profondeur, avant d’avancer à nouveau. La branche se fait rameaux. Et l’on pense à ces phrases de Deleuze-Guattari : « L’arbre est filiation mais le rhizome est alliance, uniquement d’alliance. L’arbre impose le verbe « être », mais le rhizome a pour tissu la conjonction pour secouer et déraciner le verbe « être »… La création est lien, d’abord avec soi-même ensuite avec le monde…
Je sais que je ne suis que lierre, Je sais que je ne suis que lien, J’étreins mon arbre et ne le connais pas.
Le point se fait donc réseaux sous le pinceau. La ligne du temps devient carte mentale. (Et l’on ne s’étonne pas que l’artiste s’intéresse à l’Atlas Mnémosyne de Warburg).
Découverte des terres inconnues de mon être
Sur ces toiles apparaissent des images de vie première ou de constellations. Comme si la création rejoignait l’universel et le singulier. On est dans la cosmogonie autant que dans le monde. Dans la mythologie autant que dans le réel. Dans la mémoire autant que dans le futur. Dans l’organique autant que dans la pensée.
« O grand carré qui n’a pas d’angles »
Ces circuits incarnés sont régulièrement ponctués par ce qu’Anne Dejaifve appelle des « matrices », sortes de maisons (pour Bauchau, on n’oserait dire « demeures ») ou de stèles qu’il faut traverser, ouvrir ou briser pour laisser s’épancher les cours et les flots. Mer, Mère, errance… L’œuvre de Bauchau est un fleuve à la source sèche. En remonter le cours, demande d’en sortir, d’aller au-dedans de soi, au-delà de soi et au-delà du temps. En méandres et sans rives.
Je voudrais que mon histoire devienne la mienne
La fluidité du geste pictural traduit cette poursuite continuelle. Mais des pastilles jalonnent ces routes en autant de « vous êtes ici » toujours recherchés, jamais atteints comme pour accompagner cette quête de « l’incessante nativité et mobilité de la forme ».
L’éclat doré que l’on perçoit souvent sur les voûtes de blancheur d’Anne Dejaifve est-il le reflet de ce sabre enfantin qui, l’espace d’un instant a offert à Henri toute la lumière du ciel, celle qui l’aura poussé au poème sans fin.
À l’image de Bauchau, Anne Dejaifve s’est laissée « orienter par le nouveau toujours et par le renouveau ». La création ne peut être que mouvement. Pas d’effets, pas de matière, les moyens sont épurés, ses chemins mènent à l’essentiel. MD